POPLAB SYSTAIME
Recueilli par Annick Rivoire

WATCH PDF FREE SURF ( 04 / 2009 )
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Michaël Borras, aka Systaime, est un pur rejeton de la culture numérique, celle qui rebat les cartes de nos identités, de notre rapport au monde. Trublion du réseau, ce vidéaste né en 1973 a découvert l’Internet en 1999. Premiers surfs en haut débit et plongée dans l’univers des échanges électroniques. Systaime remixe le flux comme d’autres le son. Ses vidéos à la «French trash touch» (c’est lui qui invente le concept) égratignent les puissants et les poseurs, tout en mettant en lumière notre dépendance médiatique. Son pop’lab est un «free surf» graphique, manière d’arpenter les méandres du réseau, ses faces cachées et méprisées, du spam au net-porn. Et son esthétique est un miroir cru et brutal tendu à la société de l’information.


D’où t’es venue l’idée de ce compost du spam ?


Nous sommes tous submergés par les spams. Au lieu de les subir, j’en fais quelque chose de différent et décalé. S’approprier ce qu’on subit, jouer avec ces images, c’est une démarche qui me correspond, et c’est avant tout ludique. Je ne cherche pas à « faire concept ». J’ai la même adresse mail depuis 1999 et je n’utilise pas de filtre antispam. Imagine le nombre de spams que je reçois… Je me suis même créé un dossier spam pour les observer. Plus largement qu’un remix de spams, ce pop’lab est un « free surf ». C’est l’intimité de mon surf, de ma boîte mail, de mes surfs, des bribes de ce que je vais choisir dans une journée déambulatoire sur mon ordinateur. C’est intime et en même temps c’est une narration complètement faussée. Sorte d’autofiction représentative, puisque ce sont mes choix d’images, et la mémoire du Web : des Gif de fleurs, ces canards bien régressifs, ces petits coeurs (ça, c’est du Facebook), ces images de « jambon » (la traduction du mot spam, dont l’origine vient d’un sketch des Monty Python où ils tournaient en dérision une publicité de ce fameux jambon Spam en répétant le mot dans tous les sens).

Revenons à notre jambon, soit ce pop’lab, que tu as commencé comme une recension du spam pour le transformer en une composition plus générale, intégrant tes propres images. Pourquoi avoir «dévié» ?


J’ai intégré certaines de mes images mais surtout des imageries que je considère fortes ou énormément présentes sur les réseaux sociaux, comme le petit chien loup ou l’ours qui sont devenus de véritables icônes. Aux débuts des réseaux sociaux, tout le monde y allait de son « je t’envoie mon petit bout de karma », ce qui fait que ces images sont impossibles à éviter sur Facebook par exemple.


Comment t’expliques-tu le succès de ces icônes régressives ?


Il y a bien sûr le côté découverte de Facebook, je clique partout et je teste tout. Facebook, c’est le cahier de texte qu’on avait à 14 ans, où on écrivait « j’aime telle musique, je regarde tel film, ma couleur préférée c’est le bleu et je t’envoie un nounours ». Aujourd’hui, c’est « je te poke ». Bizarrement, sur les réseaux sociaux du Web 2.0, sont vraiment représentées deux écoles : l’école Viadeo sur laquelle on ne retouve pas ce côté régressif, plus professionnelle, c’est par exemple Myspace reconnu comme un réseau plus artistique et musical, et de l’autre côté, le réseau à la Facebook où la création d’applications est ouverte à tout le monde. Du coup, beaucoup de ces applications existent déjà. Alors peut-être que ce qui marche le mieux, c’est ça : offrir des nounours. (rires)


Malgré tout, il n’y a pas de dimension critique ou moqueuse chez toi ?


Jamais, je me considère comme un témoin de notre époque au même titre que n’importe quel hot surfer qui vit son époque. Dans vivre, il y a découvrir, subir, participer. Ces images ont un côté forcément attractif dans l’inconscient collectif numérique. La petite fille malade, tout le monde a reçu ce spam et est capable de restituer l’histoire en voyant le t-shirt rose en question. Aujourd’hui, Warhol ne prendrait pas l’image de la soupe Campbell mais il peindrait du Web. Même Basquiat serait aujourd’hui un net-artiste. Dans cette société de l’image, il y a perdition du sens : quand tu lis un spam, c’est à n’y rien comprendre.


Au début, j’ai simplement eu l’idée de mélanger ces spams, celui qui vit en Afrique et a besoin d’argent pour sauver son frère et celui de Natacha qui dit de la rejoindre, puisque le but poursuivi est le même dans tous les cas : inciter à répondre au mail et te faire cliquer sur le lien. Nous en rions mais des tas de gens se sont faits arnaquer comme avec cette histoire de billets noirs : on te propose d’acheter des billets qui sont recouverts de noir avec le produit pour les nettoyer. Ça peut durer des années et des années, la personne paye mais doit encore donner de l’argent pour avoir le produit. Je me souviens d’un reportage où un homme avait déjà perdu 100.000 euros et était encore en train d’y croire. De la même façon, je suis certain que des couples se sont embrouillés à cause de spams de Natacha « on s’est croisés la dernière fois rejoins-moi sur le chat »...
Sur le Web, le spectateur est le seul maître de sa compréhension, personne n’est là pour lui dire comment ça marche. J’aime jouer avec tout ça, pas pour tromper les gens mais pour les mettre en face de ces réalités. C’est d’une certaine manière de la prévention, une façon de dire au grand jour que rien n’est vrai sur le Net. Encore de nos jours, des gens pourtant aguerris voient une photo et un mail et tombent dans le panneau en pensant que ça existe. Ils n’ont aucun recul. Ça a été pareil avec la télévision. Je suis né en 1973 avec la télé, on en bouffait de l’image et c’est à partir des années 80 qu’on a commencé à s’exciter sur les programmes pour enfants en disant que Goldorak était trop violent. Pareil avec le Web, on nous a balancé ça à la gueule et maintenant on nous dit attention au petit lapin... La pub gouvernementale pour protéger les enfants est plutôt bien vue. J’ai un ami qui a trois enfants, l’ordinateur est dans leur chambre et il ne sait même pas sur quoi ils peuvent tomber. Il suffit d’une recherche d’images pour tomber sur n’importe quoi. Alors oui, nous étions les premiers à savoir où étaient planquées les K7 porno de nos parents mais aujourd’hui, le rôle des parents me semble-t-il ne se borne pas à mettre un filtre parental, mais plutôt à dialoguer.


Je ne veux pas diaboliser en étant trop moralisateur, mais c’est comme dans la rue quand on te disait de pas accepter des bonbons de quelqu’un. A chacun de trouver le discours, en tout cas d’en parler. Parce qu’il est clair que ces médias, du Minitel à l’Internet, ont développé l’imaginaire et une forme de sexualité du fantasme ou un fantasme de sexualité.


Tu te considères comme une vigie du Net ?


Plutôt comme un gonzo journaliste à la Las Vegas Parano, j’y entre à fond pour permettre aux gens de comprendre. Sur Facebook par exemple, j’ai créé des avatars de femmes où je n’accepte que des invitations de filles. Je vois des choses hallucinantes, des midinettes de 14 ans au t-shirt relevé et au string qui dépasse. Il faudrait que les parents regardent un peu ! Récemment l’une d’elles disait « mes parents sont pas là ce week-end ». Avant on craignait le vieux voisin pervers, aujourd’hui, sur Facebook, le « voisin » a 22 ans et travaille chez Renault. Certainement que des psychanalystes et des philosophes ont écrit ou vont écrire sur cette vie étalée sur le Web. « Je m’exhibe donc j’existe et plus je m’exhibe plus je vis. » Comme une volonté d’exister en permanence sur le Net. En même temps, je suis mal placé pour en parler parce que je suis moi aussi très actif sur le Web.


Combien de temps passes-tu sur le Net ?


J’ai eu mon premier ordinateur à
25 ans, en 1999 en arrivant à Paris. Ma première connexion au Web, c’était avec le haut débit, je n’ai pas connu le Modem. Je faisais de la peinture et de la vidéo, j’ai alors pensé à faire mon site, et très vite compris qu’il me fallait un webmaster pour le mettre à jour. Je suis parti en formation puis en auto-formation pour faire et mettre à jour moi-même mon site. J’ai tout de suite adoré l’idée que je touchais potentiellement des milliers de spectateurs. C’est devenu ma vie, aujourd’hui j’y passe au moins 4 heures par jour. De la même manière que la culture zapping te fait zapper dans le réel, à force d’être dans ce monde-là, tes amis ne sont pas forcément présents physiquement. Ça a des avantages, tu sens la sueur, eux ne le savent pas… Il y a des gens avec qui je ne bosse que via le Net. C’est mortel, que je sois à Limoges, Paris ou Bamako. Nous sommes bien les nouveaux nomades, nous avons de moins en moins besoin d’ordinateur, aujourd’hui, il suffit d’une connexion.


Quand tu as imaginé le concept de «French trash touch», il y avait déjà cette idée de « compost » ?


C’est parti comme une blague, un truc difficile à prononcer, en 1999. C’était la fin de la « French touch » en musique électronique qui mettait en avant le côté très lisse à la Daft Punk. Je voulais garder l’aspect français, mais en insistant sur le côté poubelle. Je cherchais à montrer d’abord l’incident, le bug, le mauvais encodage, je voulais laisser la matière s’exprimer, comme un sculpteur écoute la terre pour la faire parler. Faire un graphisme qui ne ressemble à rien d’autre. Je voulais sortir de l’idée de la perfection, du tout lisse tout beau. Pour moi, ce qui est beau c’est l’imperfection, c’est le squizz de la machine qui transforme le projet, ce qui est beau, c’est que la machine ait sa propre vie, qu’on laisse une part de hasard.

Tu revendiques un refus de l’esthétique au sens artistique du terme, mais tes projets sont du coup très stylés, comme quand Lucille Calmel triture les codes pour en faire du texte ou comme avec certains des poètes sonores aujourd’hui ?


Oui, il en découle un certain esthétisme. Lucille Calmel, les dadaïstes, la poésie sonore oui, c’est vrai, ne sont pas si loin, mais j’ai un côté plus prolétaire, plus populaire. Dans tous ces projets, même s’ils parlent de la matière web, on reconnaît déjà une recherche esthétique. Je me sens plus proche de la figuration libre, des Basquiat et Combas et de tous ces artistes qui parlaient de la culture du rock’n’roll. Dans « French trash touch », le truc qui fout la merde, c’est trash, c’est la poubelle que j’ai envie de représenter.


Le spam, les Gifs animés, le cul… Ce sont des pans entiers du Web qui sont plutôt sous-considérés généralement par les artistes. Au contraire, tu en fais ta matière?


Oui exactement. Ceux qui disent sur le Web, il faut éviter le cul, ça revient à ne pas s’intéresser au Web. C’est un travail sur l’iconographie au sens large, l’image qui devient icône. Dans ce compost, je mélange le côté super joyeux et flatteur des nouvelles technologies avec les côtés qui le sont moins : un père Noël à côté d’une image de cul, c’est ça l’Internet, d’un coup une fenêtre s’ouvre avec des trucs très sexués, les sites X jouent beaucoup avec les mots. Par exemple, ce salarié qui surfait sur un site « teen 16 ans » plein de fantasmes d’inceste « j’ai attrapé tata machin » etc., je n’invente rien, a été stigmatisé comme un pédophile alors que toutes les filles, même avec leurs couettes et leurs jupes de gamines, avaient vingt ans et plus. On est dans cette contradiction permanente, comme avec les sites de partage vidéo qui mettent en garde contre l’envoi de contenus illicites mais qui ajoutent de la pub dans les vidéos porno et renvoient vers des sites bien pire encore. Et puis, qu’est-ce qui génère de l’argent sur le Web? C’est le X…


Tu ne stigmatises pas, mais tu dénonces quand même une certaine hypocrisie ?


Oui, parce que le Web est à la fois fascinant et écoeurant. Par ses digressions permanentes, rhizomiques, de clic en clic, qui décide ? Est-ce qu’on n’est pas orienté, comme dans les rayonnages des magasins, par une définition très précise de la navigation ? Cette idée de « free surf » est venue d’un état d’esprit de volonté de ne pas surfer : je me laisse divaguer sur le Web et j’arrive là de clic en clic.


N’y a-t-il pas une forme d’ambivalence à critiquer ces formes basses de culture tout en les reformatant pour ce « free surf » ?



Je suis moi aussi pris au jeu du grand tourbillon du Web, comme tout le monde, je vais cliquer là où il ne faut pas. Avec le recul dû à mon âge, je vais voir sur les sites de chat vidéo ce qu’il s’y dit, c’est affreux, je ne sais pas ce que font ces gens mais certains passent leurs journées dessus… Ce qui m’intéresse, ce sont les changements que ces médias-là produisent sur nos sociétés. La culture du zapping vient directement de la télé, aujourd’hui on peut parler de zapping de la vie, je te zappe, ça je zappe, etc. Comme dirait Baudrillard, on a limité le temps de l’attente et de la transition, on est dans le flux permanent comme dans un rêve, et on se retrouve avec un nounours à côté d’une gonzesse à poil et de la peur de la mort. Tout ce magma, faut-il le déconstruire ou le reconstruire ? Si c’était un rêve, ce serait l’interprétation du rêve, du rêve sur papier ou du surf sur papier. Ces 31 pages, c’est ce que je retiens, mais je pourrais en faire une par jour !





La playliste de systaime
(mars 2009)


Sons
http://www.myspace.com/kevinyost
http://www.myspace.com/ziontrainindub
http://www.myspace.com/cheravif
http://www.myspace.com/boogalooprod
http://www.myspace.com/marijanemiracle
http://www.myspace.com/anthonyrother
http://www.myspace.com/malkafamilylive
http://www.myspace.com/julienbaer
http://www.myspace.com/spamparis
http://www.myspace.com/thelink188
http://www.myspace.com/oddlive
http://www.myspace.com/temto
http://www.myspace.com/xerak0
http://www.myspace.com/oxmopuccino
http://www.rmnsq.com
http://www.charlelie.com
http://www.myspace.com/prgrammefake
http://www.marijane.fr/


Films
«Dead Man’s Shoes» (Shane Meadows, 2004),
«13 Tzameti» (Gela Babluani, 2005),
«Les Infiltrés» (Martin Scorsese, 2006),
«Birdy» (Alan Parker, 1984),
«Gattaca» (Andrew Niccol, 1997), «Memento» (Christopher Nolan, 2000),
«Petits meurtres entre amis» (Danny Boyle, 1994),
«Blue Velvet» (David Lynch, 1987),
«Alexandre le bienheureux» (Yves Robert, 1967),
«L’An 01» (Jacques Doillon, Gébé, Alain Resnais et Jean Rouch, 1973).


Livres
«Crack», de Tristan Jordis (Seuil, 2008)
Jean Baudrillard
Gilles Deleuze
Baruch Spinoza


Art
Amedeo Modigliani,
Georgia O’Keeffe,
Marc Chagall,
Facteur Cheval,
Francis Picabia,
Georges Rouault,
Jean-Michel Basquiat,
Tony Oursler,
Serge Comte,
Matthieu Laurette,
Pierrick Sorin,
Paul McCarthy
Nam June Paik,
Bruce Nauman,
Hervé Di Rosa,
Robert Combas,
Larry Carlson...


Sites
http://www.playagainstallodds.com
http://www.afrigadget.com
http://www.gazopa.com
http://www.exactitudes.com
http://theyesmen.org
http://www.alexismilant.com
http://www.davduf.net
http://laspirale.org
http://www.aka-aki.com
http://www.panologic.com
http://www.google.org/flutrends
http://www.nabaztag.com/mirror/indexEN.html
http://temto.free.fr
http://www.zeer.com
http://www.youjob.com
http://sekaicamera.com
http://www.lepost.fr/

More
http://www.systaime.com
http://www.myspace.com/spamparis
http://www.myspace.com/thelink188
http://btof.blogspot.com
http://systaime.com/systaimeshop
http://www.dailymotion.com/systaime
http://www.myspace.com/systaime
http://www.youtube.com/user/systaime


My Facebook
http://systaime.com/facebook/
My Google
http://systaime.com/google/
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http://systaime.com/claques/

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http://www.blurb.com/bookstore/detail/582807

poplab’10
04’ 2009’